D’un granit à l’autre : le Pays de Bégard raconté par ses pierres et ses toits

30/09/2025

Des pierres, un terroir : le socle de l’architecture du Pays de Bégard

Le Pays de Bégard, situé au nord des Côtes-d’Armor, s’étire entre bocages, rivières et vallons. Cette géographie généreuse a déterminé les matériaux et les formes des constructions, sculptant le paysage bâti dès le Moyen Âge. Les pierres dominantes y sont le granit – extrait localement – et le schiste, parfois le calcaire sur certaines communes proches du Trieux. Chacun de ces matériaux imprime sa couleur, sa texture et même son “caractère” aux bâtiments.

  • Le granit gris : omniprésent, issu des carrières de la région, il compose murs, linteaux et dallages. Sa robustesse assure la longévité des bâtisses.
  • Le schiste pourpré ou ardoise grise : incroyablement utilisé pour les toitures, mais aussi pour certaines élévations, en particulier dans les hameaux autour de Louargat ou de Belle-Isle-en-Terre.
  • Le bois : souvent réservé aux charpentes, parfois aux colombages sur les maisons les plus anciennes ou pour les dépendances.

La maîtrise du granit a permis l’émergence d’églises et de chapelles parfois monumentales pour de petites localités, à l’image de la chapelle Saint-Gildas ou de l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul à Bégard, toutes deux classées monuments historiques (source : Base Mérimée, Ministère de la Culture).

Longères, manoirs et fermes en carré : les types d’habitats traditionnels

L’habitat rural du Pays de Bégard a évolué au fil des siècles, en fonction des besoins agricoles, de la démographie et de la richesse locale. On y distingue principalement trois grandes catégories d’édifices, chacune avec ses spécificités :

La longère bretonne, symbole du pragmatisme et de la modestie

  • Description : Bâtiment allongé, orienté nord-sud pour bénéficier du soleil couchant, une organisation en enfilade typique (habitation, étable, grange, four à pain).
  • Détails d’évolution : Au XIXe siècle, le perfectionnement des techniques de maçonnerie amène l’apparition de linteaux en granit sculpté (souvent datés) et de portes cintrées. Dans les villages comme Saint-Laurent ou Lanneven, on remarque de subtils motifs géométriques gravés dans la pierre, marque de l’habileté des artisans locaux.
  • Transformations contemporaines : Plus de 60% des longères sont aujourd’hui restaurées pour accueillir des familles ou des gîtes (source : Observatoire du patrimoine rural, Côtes-d’Armor, 2022).

Les manoirs : reflet d’une petite noblesse rurale

  • Caractéristiques : Moins imposants que les châteaux de la noblesse citadine, mais dotés de tourelles d’angle, de pigeonniers et de jardins clos (exemple : manoir de Coatmen à Louargat, XVIe siècle).
  • Rôle historique : Ils abritaient autrefois de grandes exploitations agricoles ainsi que la famille du propriétaire, parfois un notable local, ce qui explique la présence d’éléments défensifs (douves, murs épais, échauguettes).
  • Fonctions évolutives : Nombre de manoirs ont gardé leur usage agricole jusque dans les années 1950, avant de devenir des demeures de prestige.

La ferme en carré, rareté locale et signe d’innovation

  • Architecture : Bâtiments disposés autour d’une cour intérieure, structure plutôt typique du Morbihan mais que l’on retrouve autour de Bégard depuis la fin du XVIIIe siècle, signe d’adaptation aux modèles agricoles venus du sud de la Bretagne.
  • Usage : Optimisation du travail et des parcours animaliers, gain de temps sur la gestion quotidienne.

Quand l’économie modèle les fermes : adaptations aux mutations agricoles

La physionomie des fermes bégarroises trahit l’évolution de l’activité rurale. Avant 1850, la polyculture dominait, dictant la taille modeste des bâtiments : corps d’habitation réduit, espace pour le bétail limité, logis proches des terres travaillées à la main.

  • À partir de la fin du XIXe, l’introduction de la pomme de terre et du blé noir entraîne un agrandissement progressif des dépendances. Les hangars à charrettes et les greniers s’étendent (source : ADCA, fonds fonciers ruraux).
  • Après la Seconde Guerre mondiale, la modernisation agricole bouleverse la physionomie des exploitations : apparition du béton, du bardage métallique, de toitures en fibro-ciment. Plus de 75% des bâtiments agricoles construits entre 1950 et 1980 n’ont plus ce charme d’antan mais témoignent d’une ruralité innovante et résolument tournée vers la production (source : Rapport INSEE 2014, Agriculture Bretagne Nord).
  • Depuis les années 2000, le mouvement inverse débute : la "requalification" de ces bâtiments replace le patrimoine ancien au cœur du développement local (fermes pédagogiques, reconversion en espaces culturels ou touristiques : l’exemple emblématique de la Ferme des Jardins à Bégard).

L’empreinte de la foi et du collectif : chapelles, fontaines, lavoirs

L’architecture rurale ne se limite pas à l’habitation ou au monde agricole. Les multiples chapelles, croix de chemins, fontaines sacrées et lavoirs racontent la cohésion d’une communauté attachée à ses traditions et à l’entraide locale.

  • Chapelles : près de 18 sont recensées sur le territoire de Bégard et ses communes limitrophes, dont plusieurs classées ou inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques (Base Mérimée, consultée en 2024). Beaucoup sont l’œuvre de confréries locales, reflets d’un savoir-faire collectif.
  • Lavoirs : chaque village possède (ou possédait) son lavoir communal, construit en moellons de granit, parfois couvert d’un toit d’ardoise. Jusqu’aux années 1950, ces lieux rythmaient la vie féminine et sociale (source : témoignages collectés par l’Association les Amis du Patrimoine de Bégard).
  • Fontaines : La fontaine de la chapelle du Loc Envel, par exemple, est réputée pour ses vertus et était lieu de pèlerinage jusqu’au début du XXe siècle.

Restaurer, réinventer : initiatives locales et nouveaux usages du patrimoine

Face à un risque de dépeuplement, de nombreux villages du Pays de Bégard se sont mobilisés pour redonner vie à ce patrimoine. Ce sont bien souvent de véritables aventures collectives où les habitants, associations et collectivités agissent de concert.

  • La mise en valeur touristique : sentiers d’interprétation autour de Belle-Isle-en-Terre, labels "Petites Cités de Caractère" ou "Villes et Villages Fleuris". Ces démarches dynamisent le tissu local et attirent chaque année plusieurs milliers de visiteurs (source : Office du Tourisme Guingamp-Baie de Paimpol, bilan 2022).
  • Initiatives citoyennes : restauration du manoir de Kermartin à l’initiative d’une association, campagnes de sensibilisation à la préservation du bâti par des chantiers participatifs (source : Chantier Jeunes Patrimoine Pays de Bégard, 2023).
  • Réhabilitation : Les anciennes écoles de hameau deviennent lieux de coworking, auberges ou haltes randonneurs (exemple à Saint-Laurent). Les granges se métamorphosent parfois en salles de spectacles, conservant leur âme tout en répondant à de nouveaux usages.

L’héritage bâti : un miroir des grandes mutations sociales

L’évolution de l’architecture rurale du Pays de Bégard est inséparable de l’histoire humaine du territoire. Chaque modification du bâti traduit une adaptation : à l’évolution démographique (exode rural, puis retour de nouveaux habitants en quête d’authenticité), aux progrès techniques (arrivée du machinisme, puis de l’internet rural), aux aspirations collectives (préservation de la ruralité, écotourisme…).

  • La taille moyenne des familles a chuté de plus de 60% entre 1900 et aujourd’hui, modifiant en profondeur les besoins en logement (source : INSEE Côtes-d’Armor).
  • L’exode rural, particulièrement fort entre 1950 et 1980 (près de 45% des exploitations agricoles ont disparu sur ce même intervalle, selon la Chambre d’Agriculture), a laissé de nombreux bâtiments vacants – ce qui explique aujourd’hui la richesse du parc restaurable, moteur de la renaissance locale.
  • Multiplication des "nouveaux habitants" : entre 2006 et 2021, la population du Pays de Bégard a crû de 5%, essentiellement par l’arrivée de citadins cherchant un mode de vie plus lent. Leur influence se fait sentir dans le choix des rénovations, la préférence pour des matériaux écoresponsables, et les projets mêlant culture, agriculture et artisanat (Etude sociologique ADEUPA, 2022).

Regarder aujourd’hui, imaginer demain

L’architecture rurale du Pays de Bégard, loin d’être un simple décor, s’impose comme un livre ouvert sur les évolutions du territoire. Elle incarne les grandes transitions agricoles, les élans de solidarité, l’attachement à la terre mais aussi la créativité de ses habitants, prêts à réinventer un patrimoine en mouvement. À travers la variété de ses habitats, de ses usages et de ses détails cachés, cette architecture invite à faire un pas de côté, à porter un autre regard sur le quotidien, et à imaginer, pourquoi pas, les prochaines pages de son histoire.

Sources :

  • Base Mérimée, Ministère de la Culture – https://www.pop.culture.gouv.fr/
  • INSEE Côtes-d’Armor, chiffres démographiques
  • Rapport "L’évolution des fermes en Bretagne", Chambre d’Agriculture / INSEE 2014
  • Observatoire du patrimoine rural Côtes-d’Armor, bilan 2022
  • Bilan Office du Tourisme Guingamp-Baie de Paimpol 2022
  • Association les Amis du Patrimoine de Bégard, recueils de témoignages et campagnes de restauration
  • Etude ADEUPA 2022, "Accueil de nouveaux arrivants et dynamiques du patrimoine rural"

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