Itinéraire à travers les édifices religieux : déchiffrer l’histoire du Pays de Bégard

02/09/2025

Le patrimoine religieux, miroir vivant du pays bégarrois

Dans le paysage du Pays de Bégard, chaque pierre d’église, chaque calvaire moussu, chaque enclos paroissial invite à remonter le temps. Les édifices religieux ne sont pas de simples témoins silencieux : ils racontent à qui sait les lire la vie quotidienne de générations de Bretons, la puissance des anciens seigneurs, les élans des artisans locaux, la ferveur, parfois aussi les blessures et les mutations du territoire.

Ici, à la croisée du Trégor et de l’Argoat, la diversité et la concentration des architectures sacrées témoignent d’une histoire singulière, portée par l’influence des grands courants religieux, mais ancrée dans une identité populaire forte, marquée par la langue bretonne et la ruralité.

L’abbaye de Bégard : pierres fondatrices d’un territoire

Impossible d’évoquer le patrimoine religieux du coin sans s’arrêter sur l’abbaye de Bégard, cœur battant du pays éponyme depuis le XII siècle. Fondée en 1130 par des moines cisterciens, l’abbaye a structuré le paysage, les mentalités et l’économie locale. Elle imposait par ses besoins agricoles de vastes défrichages : de nombreux hameaux et villages alentour lui doivent leur naissance (Source : Monuments Historiques, Ministère de la Culture).

Son style sobre, fait d’un granit clair et épuré, incarne la rigueur cistercienne : pas d’ornements superflus, mais une architecture puissante tournée vers la lumière. Les vestiges actuels – portails du XIII siècle, granges, restes du cloître – donnent une idée de ce que fut ce "monument totémique" pour la région.

  • Elle possédait au plus fort de son rayonnement 40 moines et 100 convers, contrôlant plus de 1 600 hectares de terres d’après les archives diocésaines.
  • L’abbaye a été le siège d’innovations agricoles locales, notamment dans le drainage des terres humides du Jaudy.
  • Après la Révolution, elle est transformée en hôpital puis en caserne – une histoire qui se lit encore dans l’organisation du site.

Visiter ou simplement longer le site, c’est marcher dans les traces de tous ces anonymes – religieux, métayers, bâtisseurs – dont la vie était rythmée par cette institution, entre foi, économie et sociabilité.

Églises paroissiales et chapelles rurales : jalons du quotidien et de l’identité

Au fil des villages, le clocher est un phare : il structure le paysage, mais aussi la mémoire collective. Dans le pays de Bégard, les églises illustrent à merveille l’équilibre entre tradition et interaction avec les grands mouvements religieux européens.

L’église Saint-Pierre de Bégard

Reconstruite entre 1869 et 1873 sur l’emplacement d’un ancien édifice, elle présente l’audace architecturale de la fin du XIX siècle, avec voûte en croisée d’ogives et vitraux néogothiques. Un clin d’œil à la tradition médiévale, mais aussi à la modernité : l’église fut l’une des premières du secteur à bénéficier d’un système de chauffage par aérothermes mécaniques dès 1907, une petite révolution pour l’époque (source : Généawiki).

Son mobilier est composite, mêlant œuvres en bois polychrome récupérées de l’ancienne église (autel du XVII) et pièces réalisées par des ateliers locaux à la Restauration — chaque objet est porteur d’une histoire de transmission et d’adaptation.

Chapelles de campagne : l’intimité du sacré

Moins monumentales mais tout aussi précieuses, les chapelles, oratoires ou simples croix de missions jalonnent le bocage. Parmi les plus remarquables :

  • Chapelle Saint-Hervé (Kermoroc’h) : référence à l’un des saints les plus populaires de Bretagne, l’édifice date du XVI siècle et conserve des sablières sculptées figurant des scènes de la vie rurale (chasse, moissons). Sa fontaine, toute proche, aurait guéri les maladies d’yeux selon les croyances locales.
  • Chapelle Sainte-Barbe (Plouagat) : remarquée pour sa procession annuelle et son pardon, elle incarne l’ancrage profond des traditions populaires autour des saints protecteurs, avec "sonneries" et partages de pain bénit.
  • Chapelle Saint-Gildas (Landébaëron) : datant de 1781, elle illustre le renouveau religieux d'avant la Révolution française et héberge encore chaque été une exposition d’art sacré organisée par des bénévoles du village.

Les chapelles expriment la foi dans la proximité : elles témoignent de la sociabilité paysanne, des moments de rassemblement et de la manière dont les villageois se réappropriaient les lieux saints en dehors du seul usage liturgique.

Des enclos paroissiaux à la bretonne : singularité du Trégor

Particulièrement présents en Cornouaille mais aussi dans le Trégor oriental et sur les coteaux bégarrois, les enclos paroissiaux sont une spécificité bretonne. Ce sont des ensembles monumentaux (église, ossuaire, calvaire, portail monumental, parfois fontaine et cimetière clos d’un mur).

Par exemple, l’enclos de Pommerit-le-Vicomte à deux pas de Bégard, présente un calvaire d’une grande finesse du XVII siècle, vestige de la richesse des paroisses à l’époque des ducs de Bretagne. Les calvaires, parfois à triple croix, portent souvent la signature d’ateliers locaux de tailleurs de pierre, et affichent toute une iconographie populaire, mélange de symboles païens (triskèles, motifs végétaux) et chrétiens.

  • La Bretagne compte plus de 800 enclos paroissiaux, dont 12 sont protégés au titre des Monuments Historiques dans les Côtes-d’Armor selon la DRAC Bretagne.
  • À Bégard, l’ancien cimetière paroissial était ceint d’un mur de schiste — toujours visible en partie au bourg — et organisé selon un plan circulaire évoquant les rites funéraires celtiques (Source : Pays touristique Trégor-Goëlo).

Quand l’histoire se glisse dans les murs : anecdotes et objets insolites

Les églises et chapelles du Pays de Bégard abritent mille détails à découvrir pour qui s’attarde, chapeau sur la tête et curiosité en éveil.

  • Dans la chapelle de Saint-Hervé à Kermoroc’h, une niche abrite une statuette de saint à la main gauche disproportionnée : c’est la main miraculeuse, que l’on touchait lors des pardons pour demander la guérison des enfants chétifs (source : Association Brezhoneg Kentañ).
  • À Bégard, l’église possède un retable en bois doré issu d'une commande de 1764, restauré après un incendie dans les années 1960. Ce retable porte la trace d’une volonté de moderniser les décors au fil des siècles tout en respectant les techniques ancestrales.
  • Plusieurs croix de mission du XIX siècle s’égrènent le long de l’ancienne route de Guingamp ; lors des grandes processions, elles étaient ornées de bouquets et drapées de linges brodés, tradition qui se maintient à la Fête-Dieu dans certains hameaux.

Conseils pratiques pour découvrir ces trésors en randonnée

  • Préparer son itinéraire : le circuit “Sentiers du patrimoine bégarrois” (19 km, balisé jaune) passe devant plusieurs chapelles, l’abbaye, mais aussi des menhirs et fontaines. Départ possible près de la mairie.
  • S’informer localement : l’office de tourisme intercommunal met à disposition (gratuitement) des livrets détaillant l’histoire des principaux édifices religieux du secteur.
  • Participer aux pardons : ces fêtes traditionnelles (consulter le calendrier annuel) mêlent cérémonies, jeux bretons et pique-nique communal – une façon authentique d’approcher l’histoire vivante du pays.
  • Photographier dans le respect : pensez à demander l’autorisation aux bénévoles présents lors des offices ou des visites guidées, notamment pour les intérieurs.

Maintenir et transmettre : l’engagement local pour un patrimoine vivant

Au-delà de la seule contemplation, ce patrimoine n’a jamais cessé d’être vécu, réinterprété, valorisé par les habitants et de nombreuses associations, comme "Les amis de Bégard" ou "Trégor, terres de Pardons". Le bénévolat local permet la restauration annuelle des petits édifices, l’organisation de concerts et la transmission des savoir-faire (taille de la pierre, art du vitrail).

  • Près de 80 bénévoles s’investissent chaque année rien qu’à Bégard pour les événements patrimoniaux (Source : Association des Amis de Bégard).
  • Le chantier participatif mené à la chapelle de Saint-Loup-en-Lanmodez en 2022 a réuni familles du village et artisans autour de techniques de restauration à la chaux, avec intervention des Compagnons du devoir.

Cet ancrage populaire et la vivacité des fêtes témoignent de la place centrale des édifices religieux dans la construction du "vivre ensemble" du pays. Ils sont à la fois ancrés dans le passé et résolument tournés vers l’avenir grâce aux nouvelles générations qui les réinventent, les investissent de nouvelles missions culturelles ou solidaires.

Les édifices religieux : chemins de traverse pour (re)découvrir le pays

Explorer les édifices religieux du Pays de Bégard, c’est ouvrir un livre d’histoire grandeur nature, où chaque pierre dit quelque chose des époques, des croyances, des conflits mais aussi des amitiés humaines qui ont forgé la région. Entre vestiges cisterciens et petits sanctuaires champêtres, se dessine un visage pluriel de la Bretagne du nord, accueillante et secrète.

Il reste tant à parcourir : de chapelle en calvaire, des croix cachées dans les sous-bois aux tours aériennes des bourgs, le Pays de Bégard offre mille et une façons de s’émerveiller et de comprendre. Prendre le temps de ces découvertes met en lumière tout ce qui fait le sel d’un territoire : sa capacité à tisser le lien, dans la pierre et dans le cœur, de génération en génération.

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