Pays de Bégard : terres, paysages et identité, l’influence d’une géographie singulière

03/10/2025

Un territoire, mille nuances : Où se situe le Pays de Bégard ?

À cheval entre terres intérieures et frange côtière, le Pays de Bégard s’inscrit au cœur des Côtes-d’Armor, dans la Bretagne Nord. Il se déploie principalement autour du bourg de Bégard et rassemble plusieurs communes voisines telles que Kermoroc’h, Landébaëron, Saint-Laurent ou encore Trégrom. À vol d’oiseau, on est à 20 km de la mer (Plestin-les-Grèves), à 15 km de la ville médiévale de Guingamp et à peine à une trentaine de kilomètres de Lannion, dynamique et historique.

Ce « pays » ne correspond pas à une entité administrative, mais à une réalité vécue, héritée des pays traditionnels bretons, souvent structurés autour d’anciens points de rassemblement, foires ou abbayes, comme ici à Bégard. Si l’on prend la communauté de communes Guingamp-Paimpol Agglomération par exemple (source : site officiel Guingamp-Paimpol Agglomération), la zone d’influence directe de Bégard couvre environ 148 km² et regroupe quelque 11 000 habitants.

Mais ce qui rend le Pays de Bégard si attachant, c’est la variété de ses paysages et sa façon bien à elle d’être interface : ni vraiment littorale, ni tout à fait « terre arrosée ». Les reliefs et l’eau, piliers de son identité, y jouent un rôle inattendu.

Majorité bocagère et lignes douces : comprendre le relief

À première vue, le Pays de Bégard évoque ces collines douces typiques de la Haute-Bretagne. Le relief, peu marqué, alterne entre basses vallées humides et plateaux bocagers, oscillant de 50 à 150 mètres d’altitude. Le point culminant du secteur se situe du côté de Landébaëron, culminant à 166 mètres (source : IGN).

Le bocage, incontournable, est une structure paysagère héritée du Moyen Âge : haies vives, talus, prairies encloses. Cette maille végétale, qui représentait autrefois jusqu’à 70 % du parcellaire, joue encore aujourd’hui un triple rôle écologique, économique et culturel. Elle freine l’érosion, régule l’eau, abrite une faune précieuse (hérissons, chouettes, tritons…). Après un net recul post-seconde guerre mondiale, la replantation des haies a connu un regain grâce à des initiatives locales comme « Bocage Pays de Guingamp ».

  • 160 km de haies bocagères recensés sur la seule commune de Bégard en 2022 (source : DREAL Bretagne).
  • La largeur moyenne d’une parcelle : 1,2 hectare, bien en-dessous de la moyenne nationale, véritable marqueur bocager.
  • Des talus de pierre et de terre, refuges pour lézards et crapauds, encore visibles à Pluzunet ou à Trézélan.

Ce tissu bocager participe à l’intimité du paysage. Il offre, tout au long de l’année, une mosaïque de couleurs et de senteurs. De mai à juillet, c’est l’explosion du prunellier et du sureau odorant : une véritable invitation à la flânerie sensorielle.

Rivières, sources et humidité : un paysage façonné par l’eau

Impossible d’évoquer la géographie du pays sans parler de ses rivières. Deux cours d’eau majeurs, le Jaudy et le Guic, prennent source dans ce secteur. Leur influence est majeure sur l’organisation humaine : moulinages, ponts, fermes construites en retrait des zones inondables…

  • Le Jaudy : il s’étire sur 43 km, traversant notamment Plouëc-du-Trieux et Bégard. Son bassin versant couvre plus de 300 km² selon l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne.
  • Le Guic : affluent du Trieux, il a structuré la vie de vallées paisibles entre Kermoroc’h et Trégrom.

À noter : plus de 80 sources, fontaines et lavoirs sont recensés sur la seule quinzaine de communes rurales du secteur, souvent encore fleuris et entretenus par les habitants ou les associations. Ils invitent à la découverte de micro-paysages, chacun porteur d’histoires : la fontaine de Saint-Hervé à Bégard, réputée jadis pour « guérir les maux d’yeux » (source : Inventaire Patrimoine Région Bretagne).

Au cœur de l’été comme lors des hivers humides, ces réseaux aquifères tissent des brumes et favorisent l’apparition de landes humides (Landes du Menez-Bré), d’une rare richesse écologique : drosera, rainettes, papillons rares… Petites merveilles à portée de bottes.

Paysage humain : villages, hameaux, fermes… une carte rurale singulière

La géographie du Pays de Bégard influence directement sa structure d’habitat traditionnelle, bien différente de celle d’autres zones bretonnes. Ici, le modèle majoritaire est celui du village dispersé : de petits hameaux de quelques maisons entourés par l’exploitant agricole, souvent avec un calvaire ou une fontaine – la marque typique du centre Trégor.

  • Près de 75 % de la population vit dans des hameaux de moins de 100 habitants (source : INSEE Région Bretagne, recensement 2020).
  • Le bourg de Bégard ne comptait que 1 350 habitants en 1900, contre plus de 3 800 aujourd’hui, reflet d’une urbanisation récente mais modérée.

Les fermes traditionnelles sont majoritairement bâties en granit local, assemblées en longères orientées pour protéger les habitations du vent d’ouest dominant. On retrouve encore des logis du 17e siècle, comme à Manaty (Trégrom), et un patrimoine agricole (pressoirs à cidre, fours à pain, granges à lin) remarquable.

Ce modèle dispersé a forgé une culture de l’autonomie et du réseau de solidarité – y compris aujourd’hui : fête du pain à Saint-Laurent, bourses locales d’échange de graines à Landébaëron, marchés fermiers qui fleurissent chaque semaine.

Des chemins à la croisée des mondes : communication et isolement

L’histoire des axes de communication est déterminante ici. Le maillage routier du Pays de Bégard épouse encore les anciennes voies de halage et les chemins creux médiévaux, qui servaient autrefois aux charrettes de lin et aux pèlerins. Ce phénomène a eu un double impact :

  1. Conservation d’un réseau dense de chemins ruraux (plus de 260 km balisés sur la zone, source : Communauté de Communes Pontrieux).
  2. Isolement relatif des villages historiques, qui ont longtemps été à l’écart des grands axes ferroviaires et routiers, expliquant le maintien des pratiques rurales et de la langue bretonne (encore parlée par 18 % des habitants d’après l’Office Public de la Langue Bretonne).

Ce patrimoine millénaire est aujourd’hui valorisé par les associations de randonnée et par les habitants, sensibles à la beauté des chemins creux ombragés et à la richesse de la microtoponymie locale : au fil de parcours on découvre le Chemin des Demoiselles, le sentier des Chênes-Tordus ou le Bois des Mystères, autant de noms qui témoignent de l’ancrage des paysages dans la mémoire collective.

Bocage, rivière, landes : influences sur la culture et l’économie locale

La morphologie du pays influe profondément sur la vie économique et culturelle. Le modèle agricole a longtemps reposé sur l’élevage laitier (énormément de petites exploitations familiales, regroupées en coopératives), la polyculture (blé-noir, pommes à cidre, châtaigneraies), et la production de lin (jusqu’au XIXe siècle). Ce n’est pas un hasard si nombre de fêtes rurales mettent en avant le cidre ou la fabrication du pain : les produits du bocage restent une fierté locale.

L’isolement relatif a par ailleurs permis de préserver une tradition musicale singulière : le collectionneur François Vallée (1860-1949), originaire de Pluzunet, y a collecté des centaines de chants et de contes, dont beaucoup évoquent la nature et les paysages (source : Dastum Bretagne).

  • Légendes associées aux pierres dressées (menhirs du sud de Bégard) et aux fontaines, souvent sources de rites encore vivaces (le « trempage » des enfants à la fontaine Sainte-Anne jusqu’aux années 1980).
  • Fest-noz et marchés nocturnes qui mettent en avant les produits laitiers, le pain au levain, les œufs frais ou les pommes cueillies du bocage.

Aujourd’hui, plusieurs initiatives naissent pour préserver et valoriser ce patrimoine naturel : circuits balisés, sensibilisation au bocage dans les écoles, parcours botaniques à Landébaëron, festival du Chardon à Trézélan qui célèbre les plantes sauvages du pays (programme : Tregor.fr).

Une identité enracinée et ouverte : le paysage, entre héritage et avenir

Le Pays de Bégard prouve chaque jour combien sa géographie façonne, tout en douceur, une identité à la fois enracinée et en mouvement. C’est la nature qui décide des contours de la fête, de la gastronomie paysanne et même des stratégies de transition écologique portées par la nouvelle génération d’habitants.

Dans l’esprit collectif, le bocage reste le rempart contre l’oubli, les rivières rappellent la patience de l’eau et la diversité des villages est un appel à prendre le temps. En s’y promenant, on saisit combien le relief, les chemins, les arbres forment la trame invisible d’un pays profondément humain, qui ne se livre jamais d’un seul regard – et c’est peut-être là, son secret le plus précieux.

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