Bien avant les églises et les calvaires, le territoire de Bégard était cerné de landes, de menhirs, de sources mystérieuses. Comme ailleurs en Bretagne, les premiers récits fondateurs bégarrois naissent du dialogue entre croyances païennes et christianisation progressive du territoire, à partir du Ve siècle (source : Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest).
Le Pays de Bégard a hérité d’un riche bestiaire imaginaire, que les anciens aimaient à convoquer pour expliquer l’inexplicable – ou inviter à la prudence à la tombée du jour. Ces récits servaient à transmettre prudence, valeurs ou respect du mystère.
Beaucoup d’anciens cheminards et vanniers parlaient de la Dame Blanche, silhouette vêtue de lin, errant près des ponts ou au Bord du Trieux lors des brumes d’automne. On disait qu’elle annonçait un danger, ou venait prévenir d’une naissance prochaine. Cette légende, partagée dans toute la Haute-Bretagne, connaît ici une variante : la Dame Blanche aurait été une lavandière condamnée à errer pour avoir volé son linge au Seigneur de la région. Encore aujourd’hui, certains habitants prétendent avoir ressenti une étrange fraîcheur en croisant la vallée du Trieux à la pleine lune... (Lannion-Trégor Tourisme).
Dans la grande forêt de Coat-an-Noz, la nuit bruissait d’histoires de Korrigans, esprits farceurs, maîtres des clairières et vestiges de l’ancien monde. La tradition voulait qu’on laisse chaque soir une part de galette ou un peu de lait en dehors de la cabane, « pour éviter la malice ». Certains chemins disparaissaient au matin, ou des outils se retrouvaient déplacés : les anciens savaient sans doute pourquoi...
La figure de l’Ankou, le passeur des âmes, est particulièrement vive dans le Trégor. Plusieurs récits locaux racontent que son chariot grinçant a été entendu la veille de grands malheurs, comme lors de la grippe espagnole de 1918, ou pendant la tempête de 1987. L’Ankou hante les carrefours, les chapelles isolées, faisant planer et transmettre la prudence du respect des lieux sacrés.
Le Pays de Bégard s’est aussi construit autour de personnages emblématiques, issus du panthéon local où l’histoire s’entremêle parfois au merveilleux.
Saint Hervé (VIe siècle) demeure l’une des figures tutélaires majeures de la région. Aveugle de naissance selon la tradition, il guida par la voix et la sagesse, non la vue. On dit qu’il fut capable de faire jaillir l’eau de la fameuse fontaine de Bégard d’un simple geste. Il symbolise la force de la foi et la persévérance contre l’adversité. Le chemin de pèlerinage vers la chapelle Saint-Hervé attire encore de nombreux visiteurs chaque année : selon la commune, ce sont entre 200 et 400 personnes lors du pardon du mois de juin, un chiffre en hausse depuis le tournant des années 2010 (Le Télégramme).
Fondée en 1130, l’abbaye cistercienne de Bégard s’impose vite comme un moteur spirituel et économique. Une légende raconte que les premiers moines furent guidés par des colombes blanches jusqu’au site, qui devint « la terre choisie ». Elle fut surnommée « Terre des Rois » en raison des nombreux dons venus de familles nobles du Trégor et du Léon. Laïque puis transformée en correctionnelle post-Révolution, l’abbaye conserve aujourd’hui ses vestiges, mais l’écho de cette origine sacrée reste vivace dans l’imaginaire local.
Au fil des siècles, de grands événements collectifs ont marqué l’âme du Pays de Bégard. Si l’épopée cistercienne et le culte des saints restent centraux, d’autres commémorations récentes participent à forger cette identité :
Au XIXe siècle, le pays est secoué par la « guerre des Gavazzi » contre les droits féodaux, et plus tard les luttes autour du « collectif du barrage du Trieux » (années 1980) laissent un souvenir fort. Si les faits se sont peu transformés en légendes, ils alimentent toutefois un récit partagé de résistance et d’attachement à la terre.
Près du Guindy et du Trieux, de nombreux contes évoquent la rencontre imprévue avec des lavandières fantômes, figures oscillant entre histoire sociale et conte fantastique. Punies, ou témoins muets du dur labeur féminin, elles servirent longtemps d’avertissement pour les promeneurs trop curieux.
Aujourd’hui, le patrimoine oral du Pays de Bégard trouve de nouveaux échos dans les fêtes locales, veillées contées et initiatives de valorisation. La mémoire ne s’éteint pas : elle évolue.
Chaque été, l’association Ar Vro Bégard propose balades contées et rendez-vous de « Kan ha diskan ». Ces événements rassemblent petits et grands, et remettent au goût du jour la parole des anciens, parfois en breton, parfois en gallo. En 2023, plus de 750 personnes ont participé à la « Nuit des Légendes » de Coadout (source : Mairie de Coadout).
Le centre Dastum enregistre et diffuse de nombreux contes et chants issus de la région pour préserver cette richesse. Leur base compte aujourd’hui plus de 250 fichiers liés au Trégor bégarrois : la plus-value du travail associatif pour la sauvegarde de la mémoire locale n’est plus à prouver.
Des circuits comme le « Chemin des Légendes » à Quemperven, balisé depuis 2018, invitent à redécouvrir les fontaines, hameaux et pierres mystérieuses en famille ou entre amis, carte en main. Plusieurs panneaux explicatifs mêlent anecdotes historiques et mythes locaux.
Les histoires, qu’elles aient pour théâtre un vieux chemin creux ou la grande forêt de Coat-an-Noz, forment le socle du sentiment d’appartenance des habitants du Pays de Bégard. Elles renforcent le lien aux paysages et à la communauté en rappelant des valeurs de solidarité, de respect de la nature et d’ouverture à l’inconnu. Il n’est pas rare que, lors d’une randonnée, un aîné raconte spontanément une version inédite d’un même récit, perpétuant ainsi une tradition certes mouvante, mais toujours vivante.
Envie d’en écouter plus ? Profitez de la saison estivale pour assister à une soirée contée locale, ou partez à la rencontre de ces lieux chargés de mémoire. Qui sait, peut-être laisserez-vous à votre tour un galet ou une histoire au bord du Trieux, pour ne jamais laisser ces légendes s’éteindre…