Personnalités marquantes du Pays de Bégard : de l’abbaye aux figures contemporaines

14/09/2025

Aux origines : les moines fondateurs de l’abbaye de Bégard

Tout commence en 1130, lorsque des moines cisterciens venus de l’abbaye de Rancé (en France, Ain), choisissent une vallée paisible pour y implanter leur communauté : Bégard. Sous l’égide de l’abbé Alain (saint Alain de Bégard selon la tradition), l’abbaye devient un pôle spirituel et économique majeur dans le Trégor, rayonnant sur toute la région jusqu’à la Révolution.

  • Alain de Bégard (mort vers 1148), premier abbé, joue un rôle décisif : il structure la communauté, établit l’organisation agricole des granges et lance la défrichement des terres locales (source : Archives Départementales des Côtes-d’Armor).
  • Ursin de Bégard (XIIe siècle), abbé charismatique, est aussi mentionné pour avoir participé à la fondation de filiales monastiques en Bretagne, influençant l’économie rurale par le développement de moulins, de viviers et de routes commerciales.

Cet héritage persiste : l’architecture, l’hydronymie locale (« la Rivière de l’Abbaye »), et jusqu’aux habitudes agricoles du pays bégarrois, profondément marquées par le passage des cisterciens.

Entre foi, éducation et lutte sociale : figures ecclésiastiques et instituteurs

Le XIXe siècle voit l’émergence de prêtres et d’instituteurs influents au Pays de Bégard. Si l’abbaye ferme avec la Révolution, la vie religieuse et éducative irrigue alors d’autres lieux clés :

  • L’abbé Jean-Marie Bourdonnay (1820-1892) : curé de Bégard pendant plus de trente ans, érudit, botaniste amateur, il introduit la culture de nouvelles variétés de pommiers et documente la flore locale dans ses carnets. Son travail inspire la création du premier verger communal vers 1889 (source : Société d’Archéologie des Côtes-d’Armor).
  • Pierre Le Scanff (instituteur, 1887-1960) : impliqué dans la laïcisation de l’école à Bégard – mouvement encore sensible dans la Bretagne rurale – et figure locale de l’instruction populaire, il organise des cours du soir, ouvre une petite bibliothèque vivante dès 1926 et fonde une société de généalogie ayant permis la reconstitution des familles bégarroises sur trois siècles.

C’est dans ces contextes d’émulation, parfois antagonistes, que se forgent les identités du pays. Encore aujourd’hui, nombre de familles bégarroises revendiquent une double appartenance entre école publique et paroissiale, héritage direct de ces figures locales.

Le XIXe siècle : le docteur Guyot et l’essor de la médecine rurale

Au cœur du XIXe siècle, la Bretagne souffre du manque de médecins. Le Pays de Bégard ne fait pas exception. Arrive alors Jules Guyot (1818-1897), médecin de campagne, aujourd’hui méconnu au-delà du Trégor mais respecté de ses contemporains.

  • Guyot crée la première « consultation gratuite » dans la maison commune en 1866, contre vents et marées alors que la pauvreté frappe fort la région (source : Monographie médicale du Trégor).
  • Il forge un solide réseau avec les pharmaciens de Lannion et d’autres bourgades afin d’acheminer vaccins et remèdes – notamment lors de l’épidémie de variole de 1871 qui touche durement la Bretagne. Sa correspondance révèle qu’il effectue environ 3 000 visites de patients par an dans les années 1870 !

L’hôpital de Bégard, ouvert en 1880, doit beaucoup à ses “précurseurs du soin” comme Guyot. Sa stèle, visible dans le cimetière paroissial, est un hommage discret, mais parlant.

Patrimoine politique et intellectuel : figures engagées du XXe siècle

Le XXe siècle, lui, est traversé par des temps de bouleversements nationaux. Plusieurs personnalités du Pays de Bégard s’y illustrent, souvent à travers leur engagement politique, associatif ou culturel.

Thérèse Cornic : une résistante au cœur de la Bretagne

Née à Bégard en 1915, Thérèse Cornic est l’une des rares femmes chefs de réseau de résistance dans les Côtes-d’Armor pendant la Seconde Guerre mondiale (source : Chemins de la résistance en Bretagne, éditions Coop Breizh). Elle coordonne les liaisons entre Plouisy, Bégard, et Guingamp, facilite l’exfiltration de parachutistes anglais et organise la distribution de tracts.

  • Réseau : « Libération-Nord » (section Trégor-Argoat).
  • Parmi ses actions notables, l’aide à l’évasion de 17 soldats russes retenus sur la ligne Guingamp-Bégard.
  • Son arrestation en 1944, suivie de sa déportation à Ravensbrück, marquera durablement la mémoire locale. Elle sera décorée de la Croix de Guerre après la Libération.

Le collège public de Bégard porte désormais son nom, perpétuant le souvenir d’une femme au courage exemplaire à une époque où tant de parcours féminins sont restés dans l’ombre.

André Calloc’h : poète de la parole populaire

Si André Calloc’h n’est pas né à Bégard (mais à Groix, en 1888), il y laisse des traces indélébiles lors de ses séjours dans la région, où il collecte poèmes et contes oraux. Calloc’h ambitionne à valoriser le breton trégorrois, toujours parlé dans les villages alentours, et anime de nombreux veillées littéraires dans les années 1910-1913. Plusieurs poètes bretons comme Jean-Pierre Calloc’h et Youenn Gwernig s’inspireront de ses travaux de terrain (source : Bulletin de la Société Archéologique du Finistère).

Les grandes familles & mécènes bégarrois : une tradition discrète mais féconde

Le pays n’a pas seulement vu naître des personnalités publiques ou des religieux : il a aussi été façonné par des familles de propriétaires et mécènes locaux. Si certaines lignées, comme les Le Lous (maîtres de forges au XVIIe siècle) ou les Le Borgne de Keruzoret (collectionneurs et donateurs du XIXe siècle), sont parfois oubliées, elles ont laissé leur empreinte :

  • Le manoir de Kerantour (près du hameau de Loc-Envel), siège de la famille Le Lous, a accueilli au XIXe siècle artistes, inventeurs d’origine bretonne et débats politiques régionaux.
  • Michel Le Borgne de Keruzoret, conseiller général en 1874-1878, défend vigoureusement le maintien du marché agricole hebdomadaire de Bégard au lendemain de la crise du phylloxéra, sauvant de nombreuses exploitations locales selon La Dépêche de Brest.

Aujourd’hui encore, la tradition du mécénat culturel demeure, souvent dans la discrétion (restaurations de statues, chèques pour les bibliothèques scolaires, rôle d’ambassadeur auprès des associations). L’esprit des « grands notables ruraux » vit à travers de nouveaux engagements.

Des lieux de mémoire à découvrir : sur les pas des figures historiques

Le Pays de Bégard vous invite à suivre la trace de ces personnalités : chaque village conserve une plaque, une stèle, un monument, ou de petites histoires transmises de bouche à oreille.

  1. Le site de l’ancienne abbaye de Bégard : ses ruines et vestiges sont “parlants” (accès libre, près du centre Bourg).
  2. Stèle du docteur Guyot (cimetière paroissial de Bégard, à droite de l’entrée principale).
  3. Collège Thérèse Cornic : façade commémorative et expositions ponctuelles consacrées à la Résistance.
  4. Manoir de Kerantour : privé, mais visite possible lors des Journées du Patrimoine, point de départ d’une belle balade sur les chemins anciens de la région.
  5. L’ancienne École laïque Pierre Le Scanff: belle façade XIXe siècle, aujourd’hui reconvertie, mais signalée par une plaque descriptive.

Pour aller plus loin : lectures, archives et initiatives locales

Vieilles pierres et figures contemporaines, le Pays de Bégard cultive ce goût pour l’histoire vivante. Plusieurs associations locales, comme la Société d’Histoire et de Généalogie du Trégor, publient chaque année des recueils dédiés à ces personnages. À guetter aussi, les rendez-vous « Un jour, un personnage », organisés ponctuellement par la Médiathèque de Bégard.

  • Ouvrages de référence : « Histoire de Bégard et de son abbaye » (Éditions R. Le Quintrec, 1986), « Chemins de la résistance en Bretagne » (Coop Breizh).
  • Archives départementales : accès libre à Guingamp ou sur https://archives.cotesdarmor.fr/.
  • Sites à consulter : Site officiel Pays de Bégard, rubrique histoire & patrimoine.

Au détour d’une balade ou lors des portes ouvertes de l’ancienne abbaye, n’hésitez pas à tendre l’oreille : vous trouverez toujours un habitant pour raconter ses souvenirs ou évoquer avec tendresse les figures qui ont fait le Pays de Bégard. Car ici, l’histoire est collective — et écrite au présent, à chaque génération.

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